SOLIDARNOSC
J’avais déjeuné avec Gérard Bobillier dans un restaurant de la rue du faubourg Saint Antoine, près des Editions Verdier à l’époque ; il m’avait proposé de participer à un lâcher de ballons gonflés à l’hydrogène le long de la frontière polono-allemande, marqués du sigle Solidarnosc. Je venais de créer le Collectif des peintres antifascistes avec le philosophe Jean Borreil et je suis allé rejoindre deux membres de ce collectif, Frédéric Brandon et Claude Lazar.
Nous avons organisé une réunion, à l’époque le Collectif n’était pas nombreux et ne comptait que quelques membres de la Jeune Peinture. Nous avons décidé de garder notre indépendance. Il y a eu deux propositions : celle de Claude Lazar, de faire flotter sur la Seine une banderole avec l’inscription Solidarnosc .et la mienne, qui fut retenue, .de confectionner une banderole assez longue pour entourer l’ambassade de l’Union Soviétique à Paris. Il fallait mesurer le périmètre du bâtiment. Nous partîmes une nuit – pourquoi une nuit ? Sans doute pour avoir l’air de clandestins – et nous avons mesuré de loin puis en faisant le tour de l’ambassade. Nous comptâmes 587 pas.
Direction le marché Saint Pierre pour acheter 500 mètres de calicot de 1 m 50 de large à coller pour les réunir d’un seul tenant. Claude Yvel et moi nous sommes chargés de réaliser les pochoirs Solidarité Solidarnosc de deux mètres de longueur. Nous avons collé les calicots et appliqué les pochoirs dans les couloirs des entrepôts du Quai de la Loire, à l’étage où j’avais mon atelier.
500 mètres de long : pour tenir cette banderole il fallait 500 personnes. De mon côté il y a le Collectif : 20 personnes ; la Jeune peinture : peu de participants car la question les divisait ; des occupants des bâtiments du quai de la Loire et quelques collègues et étudiants de Jussieu. Nicole mobilise une petite centaine d’étudiants : le groupe de sociologie de Nanterre, la SEGESA et, à l’Institut de géographie, le laboratoire STRATES et des techniciennes d’Intergéo qui avaient fait une exposition sur Solidarnosc dans le hall. Tous avaient la consigne de garder le lieu de rendez-vous secret et de s’y rendre individuellement sans trahir le moindre projet de manifestation.
Dans le coffre de la 2CV de Frédéric Brandon la banderole est pliée en accordéon pour pouvoir la dérouler le plus rapidement possible. Les manifestants se tiennent à proximité et repèrent leurs prédécesseurs pour s’emparer de la toile. Le démarrage est tellement brutal que les premiers sont déséquilibrés. Ils se rétablissent promptement et partent, d’un pas heureux, entourer l’ambassade.
Quand la banderole est accrochée autour de l’ambassade on s’aperçoit qu’il manque trois mètres de tissu pour l’accrochage. On la décroche aussitôt et avant même que les flics n’arrivent on part en remontant l’avenue de la Grande Armée pour aller encercler l’Arc de Triomphe où la banderole fera le plein de ses porteurs.
Cependant les CRS d’un côté et les manifestants en file de l’autre tirent sur la banderole qui se déchire ; tous se retrouvent par terre. Les manifestants qui portent le reste de la banderole essayent d’aller encercler l’Arc de Triomphe.