Deuxième lettre à Eduardo Arroyo.
Sur les terres arides roulent les boules d’épineux sous la poussée du vent et obstruent l’entrée des chemins possibles
Il est difficile d’écrire sur Marcel Duchamp sa perversité est partout masquée..
DÉFINITION 1
Rose Sélavy soi-même en travesti.
Les abominables fourrures abdominales.
La femme est naturelle c'est abominable.
La nature a fait son temps et le moment est venu où il s'agit de la remplacer par l'artifice.
On n'a que: pour femelle la pissotière et on en vit.
Un urinoir est un sexe de femme dans lequel on a plaisir à uriner tous les jours.
L’urinoir prend de l’épaisseur et se drape d’ambiguïté.
DÉFINITION 2
Le tableau est fait par le regardeur.
Phrase banale, éculée : Depuis l’apparition de l'imprimerie on sait qu’un livre non lu n’est qu’un tas de papier et les bibliothèques sont la sinécure des livres qui ont tourné le dos à l’histoire. Il n’y a rien à chercher dans cette phrase plate à moins de l’inverser de la prendre pour une dénégation où sa perversité intervient ce n’est pas moi qui ai prononcé le terme ready-made. Il reviendra plus tard sur le ready-made il deviendra à ses yeux l'équivalent de la photographie, du déclic photographique sans impliquer le choix de l'objet. Entreprendre c'est se placer dans le prolongement de l'industrie alors qu'hier c'était se placer dans le prolongement de l'artisanat. Ce qui fait le regard sur la photographie, qui va dans la même direction que Marcel Duchamp, selon Kurosawa, c'est la splendeur de la technique que l'on admire avant de voir le sujet représenté.
C'est la deuxième ambigüité de l'urinoir.
A quoi lui objecte Francis Picabia tu peux photographier tous les objets non les idées que j'ai dans la tête.
DÉFINITION 3
Pour avoir la perception d’une forme dans un espace à n dimensions on peut s’appuyer sur sa projection dans un espace à (n-1) dimensions.
Marcel Duchamp présente Le nu descendant l'escalier au Salon des indépendants de février 1912 dans la salle réservée à la peinture cubiste. Ses deux frères le sculpteur Raymond Duchamp-Villon et le peintre graveur Jacques Villon viennent lui demander de retirer sa toile qui pour les autres participants n'est pas cubiste car la juxtaposition est liée à une temporalité. Marcel Duchamp a fait une erreur, dont il se rendra rapidement compte, par rapport à son projet.
Il a étudié la chronophotographie d’Augustin Marey et veut introduire dans son tableau une quatrième dimension dont les salons discutent depuis la popularisation de la Relativité restreinte. Il a confondu coordonnées et paramètres. Mais Marcel Duchamp a pensé son Nu comme une invention d’espace, comme le prétendra également le cubisme alors que le cubisme n’est que l’utilisation des rabattements de la géométrie descriptive à 3 dimensions. Mais voilà la tique de Simondon à l’extrémité de son herbe, il tombe sur un livre écrit par Elie Jouffret, directeur de l'Ecole polytechnique qui cherche à rendre sensibles des objets à 4 dimensions au moins de les suggérer. Marcel Duchamp cherche à rencontrer Henri Poincaré qui, à tort, ne le recevra pas.
Néanmoins il prend à son compte la définition 3.
Si dans notre espace à trois dimensions on peut reconnaître un objet par sa projection c'est-à-dire dans le plan, alors l’emploi d’objets comme le porte-bouteilles où la roue de bicyclette devient transparent. Le porte-bouteille et la roue de bicyclette suggèrent une autre interprétation qu’il ne fera jamais apparaître .
L'ignorance des conservateurs leur fait projeter la roue de bicyclette dans un angle de murs pour des raisons esthétiques comme si la radicalité de l’idée leurs était insupportable.
On comprend l’importance du regardeur et de ses conséquences dans l’affirmation de la liberté de Marcel Duchamp.
Deux conceptions se juxtaposent une vision fantasmatique (l’urinoir)
Et une conception scientifique (savoir pour faire)
Reprenant une idée d’Alhazen, le fondateur de l'optique moderne en rupture avec celle d'Aristote et de Ptolémée, où il affirme que la conscience de la perspective s’arrête avec l’inexpérience. Marcel Duchamp constate que dans un bateau, son mouvement latéral et l’étendue même de la mer le dénude de toute notion de perspective. Il aura l’idée pour établir une perspective qui ne sera pas celle d’Alberti de juxtaposer le même objet mais de taille différent, idée que pour ma part je retiendrai dans les dessins et tableaux d'Assis Debout ou le retour de la Lutte des classes.
Ce texte pour commenter à ma manière le travail de Marcel Duchamp pour lui faire quitter les rails dans lequel ses prétendus descendants l’ont engagé.
L’enterrement de Marcel Duchamp
de Eduardo Arroyo, Gilles Aillaud et Antonio Récalcati
Le tableau L’enterrement de Marcel Duchamp que tu as peint avec Gilles Aillaud et Antonio Récalcati en est une parfaite illustration intuitive Duchamp n'est que dévisagé et nous subissons l'insuffisance de ses prétendus héritiers qui ont oublié son adage- Entreprendre c'est se placer dans le prolongement de l'industrie alors qu'hier c'était se placer dans le prolongement de l'artisanat - et ont développé un réalisme capitaliste comme s'est développé le réalisme socialiste.
Bouteille de Félix Klein
Une autre difficulté pour adhérer aux points de vue Marcel Duchamp ce sont les confusions, qu'il fasse une métaphore sur la Bouteille de Klein en la prenant comme image d'une auto fellation, métaphore analogue à celle que fera Jacques Lacan avec le Ruban de Möbius et l'inconscient mais néanmoins le sens profond est que ces deux surfaces n'ont ni intérieur ni extérieur et la Bouteille est une surface fermée qui reste pour les mathématiques un problème fondamental.
Le syllogisme,
tout geste est œuvre d'art,
tout homme est artiste,
toute œuvre d'art peut être n'importe quoi,
a transformé toute entreprise artistique en effet d'appel et a livré la réflexion aux médias.
Maurice Matieu